Page:Poe - Nouvelles Histoires extraordinaires.djvu/26

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ment les considérer comme des grâces extérieures à l’homme et comme des visitations ; mais aussi il a soumis l’inspiration à la méthode, à l’analyse la plus sévère. Le choix des moyens ! il y revient sans cesse, il insiste avec une éloquence savante sur l’appropriation du moyen à l’effet, sur l’usage de la rime, sur le perfectionnement du refrain, sur l’adaptation du rythme au sentiment. Il affirmait que celui qui ne sait pas saisir l’intangible n’est pas poète ; que celui-là seul est poète qui est le maître de sa mémoire, le souverain des mots, le registre de ses propres sentiments toujours prêt à se laisser feuilleter. Tout pour le dénouement ! répète-t-il souvent. Un sonnet lui-même a besoin d’un plan, et la construction, l’armature, pour ainsi dire, est la plus importante garantie de la vie mystérieuse des œuvres de l’esprit.

Je recours naturellement à l’article intitulé : the Poetic Principle, et j’y trouve, dès le commencement, une vigoureuse protestation contre ce qu’on pourrait appeler, en matière de poésie, l’hérésie de la longueur ou de la dimension, — la valeur absurde attribuée aux gros poèmes. « Un long poème n’existe pas ; ce qu’on entend par un long poème est une parfaite contradiction de termes. » En effet, un poème ne mérite son titre qu’autant qu’il excite, qu’il enlève l’âme, et la valeur positive d’un poème est en raison de cette excitation, de cet enlèvement de l’âme. Mais, par nécessité psychologique, toutes les excitations sont fugitives et transitoires. Cet état singulier, dans lequel l’âme du lecteur a été, pour ainsi dire, tirée de force, ne durera certainement pas autant que la lecture de tel poème qui dépasse la ténacité d’enthousiasme dont la nature humaine est capable.

Voilà évidemment le poème épique condamné. Car un ouvrage de cette dimension ne peut être considéré comme poétique qu’en tant qu’on sacrifie la condition vitale de toute œuvre d’art, l’Unité ; — je ne veux pas parler de l’unité dans la conception, mais de l’unité dans l’impression, de la totalité de l’effet, comme je l’ai déjà dit quand j’ai eu à comparer le roman avec la nouvelle. Le poème épique nous apparaît donc, esthétiquement parlant, comme un paradoxe. Il est possible que les anciens âges aient produit des séries de poèmes lyriques, reliées postérieurement par les compilateurs en poèmes