Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 1, 1926.djvu/48

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

portée à ce principe traditionnel par l’expédition italienne en Libye fût exceptionnelle et limitée, et la durée de la guerre n’était pas sans nous inquiéter.

Tels étaient les divers sentiments qui agitaient la France au moment où éclatait le fâcheux incident du Carthage. La saisie inopinée de ce navire causa dans le pays une émotion générale. Les esprits n’étaient pas moins agités en Italie. Lasse et un peu énervée de la résistance des Turcs et des Arabes, l’opinion italienne s’était imaginé que les populations libyennes avaient trouvé dans la régence voisine des complicités occultes. Cette guerre de Tripolitaine, qui, suivant la juste expression de M. Seignobos[1], devait, quelques mois plus tard, déchaîner la crise décisive des Balkans, avait ainsi commencé par exciter la sensibilité nationale de toute l’Italie.

Dès le mercredi 17 janvier, M. Tittoni était venu me voir pour essayer de justifier la mesure prise par son gouvernement. Il y employa les inépuisables ressources d’une dialectique ingénieuse et subtile.

Pour surveiller les passagers qui se rendaient en Tunisie, M. Tittoni avait installé à Marseille une sorte de police secrète. Depuis quelques semaines, il avait fait au quai d’Orsay, je l’ai appris par lui et par les services du ministère, des démarches réitérées, qui trahissaient une sourde irritation. Un jour, il avait annoncé que, d’après ses renseignements, dix officiers turcs avaient franchi la frontière entre la Tunisie et la Tripolitaine ; un autre jour, il avait informé le gouverne-

  1. Histoire de France contemporaine de Lavisse, t. VIII, p. 322.