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LE BOMBARDEMENT CONTINUE

midi à sept heures du soir. L’un, tombé place Vauban, derrière les Invalides, a tué deux soldats permissionnaires, blessé mortellement deux autres personnes et plus ou moins grièvement un grand nombre. Je me rends sur place et j’y trouve Jeanneney, les préfets et Mithouard. Clemenceau est parti pour le front avec Renoult et des membres de la Commission de l’armée de la Chambre. Il avait déclaré qu’il ne laisserait pas ceux-ci aller au front pendant les opérations, mais il les y mène néanmoins.

L’obus de la place Vauban a fait un trou d’assez petit diamètre mais les éclats ont porté très loin. Les morts sont à l’hôpital Necker dans un état de déchiquetage horrible. Les blessés sont à l’hôpital Buffon. Une pauvre femme jeune, atteinte aux deux pieds, avec son enfant de trois ans également blessé, plus gravement même que sa mère, à un pied. Elle vient d’être pansée et elle est étendue sur une civière. Elle me reconnaît, sourit et me dit : « Ah ! cher Monsieur Poincaré, » en me tendant la main. Le petit pleure et réclame son père, qui est là aussi, et qui n’est pas blessé.

À l’hôpital des Enfants malades, je trouve un pauvre petit de douze ans, qui a eu la jambe emportée et qui paraît tout abasourdi, tout abattu. Je lui donne une montre-bracelet et, dès qu’il la voit, son visage s’illumine et il tend son bras pour qu’on la lui attache.

Le calibre des canons qui tirent sur Paris n’est décidément ni du 240, ni du 220, ni du 210.


Mardi 2 avril.

Clemenceau réduit de plus en plus les conseils des ministres au minimum. Ce matin, cependant, il y a eu séance à onze heures et les sous-secrétaires d’État ont été convoqués.