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LA VICTOIRE

toutes nos réserves à soutenir les Anglais et que nous ne soyons très prochainement à court d’hommes.

Le soir, je vais dîner chez mon frère Lucien à la Sorbonne. Pendant le repas, alerte no 2, bruit d’explosions, éclatements. Nous téléphonons à l’Élysée. On croit, cette fois, que ce sont des avions qui ont réussi à passer les lignes et qui ont projeté des bombes dans la rue de Rivoli. Nous rentrons immédiatement à l’Élysée, d’où je repars avec le général Duparge pour l’Hôtel-Dieu, où sont déjà d’assez nombreuses victimes, et ensuite pour le lieu du sinistre. Un immense incendie s’est déclaré, et une grande lueur rouge plane sur Paris. Spectacle tragique dans la nuit. À l’Hôtel-Dieu, un jeune blessé, la tête ensanglantée, me dit : « Cela va malheureusement m’empêcher de partir tout de suite avec mes camarades pour le front ; je suis de la classe 19. »

Un autre, qui vient d’être amputé d’un pied sans avoir été endormi, me parle avec calme et courage. Nous nous rendons rue de Rivoli par les quais. Une foule immense sur les trottoirs et la chaussée. L’incendie continue. C’est une conduite de gaz qui a été enflammée par la bombe. La flamme a jailli, formidable. La maison no 14 s’est embrasée. Toutes les maisons voisines sont endommagées. Sept bombes sont tombées dans un espace restreint. Les pompiers sont à leur poste et travaillent infatigablement. À la lueur de l’incendie, on transporte sur des civières des cadavres et des blessés. Je trouve là Loucheur, Mourier, Galli, les préfets, etc.

Loucheur, qui est allé dans le Nord avec Clemenceau, me donne ses impressions, très peu satisfaisantes, sur la résistance anglaise. Clemenceau a dit à Haig que les armées anglaises étaient, en ce moment, en retraite partout où elles étaient