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LA VICTOIRE

dix ou douze personne, y compris l’aîné des jeunes princes.

Ces jours-ci Clemenceau vient d’adresser un message d’une vivacité incroyable à Czernin et à l’Autriche. Pendant le déjeuner, je dis un mot très discret à la reine Élisabeth de cette affaire et de la démarche du prince Sixte. Je la sens aussitôt se replier sur elle-même, comme une sensitive effleurée par une main maladroite. Après le repas, je reprends la conversation seul à seule avec elle dans un coin du salon. Je lui explique comment les choses se sont passées. J’excuse de mon mieux Clemenceau. J’attribue toute la responsabilité de l’incident à l’agression de Czernin. Mais, dès les premiers mots, je me trouve dans l’obligation de lui indiquer, avec le plus de réserve possible, que Clemenceau a décidé la publication en dehors de moi. « Ah ! me dit-elle, j’ai pensé tout de suite que vous étiez étranger à cette publication. Je la trouve infiniment regrettable. En disant cela, je ne pense pas, je vous l’assure, à mon cousin. Les considérations de famille sont bien négligeables en ce moment. En ce qui le concerne, je me borne à vous dire qu’il me paraît impossible de lui demander autre chose que le silence. On ne peut le forcer à témoigner contre son beau-frère. Mais c’est pour la France que je regrette tout cela. Ce qui a été fait n’est pas élégant, ce n’est pas français. J’ai peur que cela n’amène des troupes autrichiennes sur le front français. » La reine me dit tout cela d’une voix timide, comme mouillée de larmes. Bien que je trouve que Clemenceau a eu raison de ne se prêter à aucune conversation avec l’Autriche en vue d’une paix que l’Autriche serait dans l’impossibilité de nous offrir en dehors de l’Allemagne, je suis un peu honteux et affligé de l’impétuosité dont a fait preuve le président du Conseil.