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LA FATIGUE DE CLEMENCEAU


Mardi 7 mai.

Conseil des ministres. Clemenceau, qui est encore allé aux armées hier et avant-hier, est revenu cette fois très fatigué. « On m’a fait trop marcher, » me dit-il, et, de fait, il a l’air exténué.

Comme il donne au Conseil quelques renseignements sur la conférence d’Abbeville, il s’exprime avec peine, prononce des mots pour d’autres et finit par déclarer qu’il est « abruti ». Il laisse ensuite le Conseil suivre son cours sans se mêler aux débats. Par moments, il lance toutefois quelque plaisanterie. C’est ainsi qu’à propos de la nomination de Delanney, il dit : « Grand officier ? Est-ce le plus haut grade de la Légion d’honneur ? — Non, répond Klotz, c’est la grand’croix. — Oh ! alors, réplique Clemenceau, Grand’-Croix, c’est pour les souverains ! » À un autre moment, au sujet de la Russie, Clemenceau dit : « Tiens, mais pourquoi les Russes ne nomment-ils pas Noulens empereur ? » Quant aux affaires sérieuses, Clemenceau ne touche que celle-ci : dans son voyage au front, il a vu une division américaine qui était en ligne et n’avait fait et ne faisait ni tranchées, ni travaux d’aucune sorte. Il en a été très impressionné et a déclaré que, si l’on n’incorpore pas les Américains dans nos troupes, on s’expose à « un désastre ». Il songe à envoyer un général au président Wilson pour lui exposer la question. « Mais, dit-il, ce ne sera pas Joffre ; car Joffre est partisan de l’armée américaine indépendante et a soutenu cette thèse en Amérique. »

Clemenceau indique d’un mot comme a été tranchée la question du commandement de Foch pour l’Italie ; mais, contrairement à ce qu’il m’avait expliqué, rien n’est nettement résolu. Orlando a simplement donné à Abbeville une adhésion éventuelle de principe à l’accord de