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LUCIDITÉ DE FOCH

Les Anglais eux-mêmes auraient consenti à abandonner les Flandres. Mais tout cela me paraît inutile. Si l’on se rabattait jusqu’à la Somme, l’Angleterre serait bombardée ; l’ennemi occuperait les côtes et les Anglais réclameraient leur armée pour défendre leur propre territoire. Si l’on n’abandonnait que la Belgique et si l’on se rabattait sur les forts, il serait à craindre que l’armée anglaise ne fût coupée de la nôtre et ne capitulât. Si l’on cédait du territoire ailleurs, l’effet moral serait, en tout cas, fâcheux. J’exclus donc pour le moment toutes ces hypothèses. Ce sont des pis aller, et je ne crois pas que nous ayons à y recourir. Le concours américain dépasse, en effet, toutes mes espérances. Nous « avons déjà cinq divisions sur le front ; ce sont des divisions de 25 000 hommes, beaucoup plus fortes que les nôtres et elles se battent bien. Les dernières, plus instruites que les précédentes, sont meilleures et le progrès continue. Nous allons avoir avant huit jours cinq autres divisions en secteur. Ce sont celles qui étaient dans le Nord avec les Anglais. Elles nous reviennent. Je vais les donner à Pétain pour l’Est et pour l’Alsace. Il pourra donc libérer cinq divisions françaises. Tout cela suffit et avec ce que nous attendons d’Amérique, nous devons et nous pouvons tenir le coup. Je ne dis pas que Paris ne sera pas bombardé d’une façon plus intensive, mais l’ennemi n’approchera pas beaucoup plus. Je pensais que nous allions être attaqués entre Montdidier et Sempigny ; il y avait des symptômes significatifs : concentration des troupes et mouvements à l’arrière ; mais Fayolle a fait de la contre-batterie préventive ; il a harcelé le derrière de l’ennemi et il a brisé par avance ses projets. Je me demande maintenant si les Allemands ne vont pas chercher un autre point d’attaque. »

Foch parti, je me rends à Chantilly au poste de