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LA VICTOIRE

Guerre pour l’établissement de statistiques militaires, me dit que le colonel envoyé avec lui en Angleterre pour la question des effectifs y a parlé sur un ton d’autorité qui a indisposé Lloyd George, lord Milner et le général Wilson.

Pierre Boutroux est convaincu que le la avait été donné à ce colonel, comme à d’autres, non seulement par Clemenceau, mais par le général Mordacq, qui répétait à tous : « Il faut parler en maîtres aux Anglais. » Il a remarqué en Angleterre beaucoup de mécontentement par suite de ces manières tranchantes et maladroites.

Clemenceau, qui revient encore des armées, arrive le matin dans mon cabinet. « J’ai parcouru, me dit-il, Dormans et le sud de la Marne. J’ai parcouru des villages dévastés. — Mais les champs de blé ? — Nous nous en occupons. J’ai rencontré Lebrun chez Degoutte. On va faire le nécessaire. On emploiera au besoin des prisonniers, quoique ce ne soit pas à 30 kilomètres du front. Mais nous n’avons pas à nous gêner avec eux. Du reste, à propos des prisonniers, vous savez que les échanges ne marchent pas ; ils nous envoient des malades, des hommes épuisés, qu’ils prennent dans leurs hôpitaux, tandis que nous, nous leur envoyons des hommes bien portants.

— C’était à prévoir. Ils n’ont pas cherché autre chose. Sans être prophète, je vous l’avais annoncé.

— Oui. Maintenant, j’ai de bonnes raisons pour arrêter les échanges ; c’est le parti que je vais prendre. Voyons, qu’avais-je encore à vous dire ? Ah ! Mangin ! Il est insupportable, il se plaint tout le temps ! Il m’a parlé de Pétain dans des termes inadmissibles ; il m’a dit que j’avais tort de le garder. Je lui ai répondu que cela ne le regardait pas et que, du reste, Pétain ne serait pas facile à remplacer. Ce n’est évidemment pas son avis ; mais il se trompe s’il croit qu’il pourrait