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LES PRIÈRES PUBLIQUES

pas lui parler du fond des choses, car je n’ai pas encore d’opinion. »

Je réponds que je vais faire prévenir le cardinal et je donne l’ordre de téléphoner à l’archevêché.

L’archevêché n’a pas le téléphone. Dès lors, j’envoie un officier. Clemenceau m’avait dit : « Je tâcherai de vous voir et de vous porter les lettres. » Mais il se contente de m’envoyer Mandel. Celui-ci me montre la lettre qu’il a reçue du secrétaire de Lloyd George. L’intervention demandée au cardinal Amette aurait été désirée par le comité de guerre anglais et, d’après une note laissée par l’officier britannique, le gouvernement de Londres voudrait surtout faire envoyer en France 100 000 travailleurs mobilisés sous les ordres de l’armée française pour les éloigner d’Irlande et y éteindre l’effervescence. C’est donc un service qu’on attendrait de nous. Et pour être plus sûr que l’appel des catholiques français serait entendu, on a préparé le texte de cet appel dans des termes tout à fait inadmissibles ; car la France y est représentée comme étant à court d’hommes et ayant besoin des Irlandais.

Mandel, maigre, sec, la figure glabre, osseuse, en lame de couteau, la bouche large, le ton un peu pédant et précieux, me dit qu’on s’est demandé s’il n’y avait pas là une mystification. Clemenceau a fait venir lord Derby pour le mettre au courant et le prier de se renseigner.

Groussau, Delahaye, l’amiral Bienaimé, et une douzaine de députés, viennent me demander d’assister dimanche prochain aux prières publiques. Ils voudraient qu’on donnât, à cette occasion, une interprétation libérale des lois. Je leur réponds que le gouvernement a délibéré et que comme il ne s’agit pas seulement d’un service pour les morts, il a cru impossible la représentation des pouvoirs