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SAINT-MIHIEL DÉLIVRÉ

chemin pour prendre la route des Kœurs. Nos troupes vont et viennent dans les deux villages. Elles n’ont plus à redouter le bombardement. Elles ont la mine joyeuse et fière des vainqueurs.

Nous gagnons Bislée par la route des prés et nous traversons la Meuse sur un pont en bois que le génie a rétabli.

Bislée n’est plus qu’un monceau de ruines. Où est le temps où j’y venais enfant chez les Thonin ?

Au delà de Bislée, nous suivons la route qui gravit la pente du camp des Romains et nous traversons successivement les lignes françaises et allemandes. De tous côtés, ce ne sont que tranchées et réseaux de fils de fer. Nous rejoignons la grande route et, le cœur serré d’émotion, nous redescendons rapidement sur Saint-Mihiel et faisons arrêter les autos aux premières maisons. Deux vieillards causent avec les soldats. Ils nous reconnaissent ; ils se précipitent vers nous et se jettent à mon cou. Tout de suite, nous entendons cette phrase que ces pauvres gens vont tous me répéter jusqu’à notre départ : « Nous avons bien souffert ; mais c’est fini ; nous sommes sauvés, nous oublions tout. »

À pied, de poignée de main en poignée de main, d’accolade en accolade, nous nous dirigeons vers la mairie. Notre cortège grossit à chaque pas : les sénateurs et députés, Develle, Grosdidier, le docteur Thiéry, en uniforme de médecin militaire, l’ingénieur en chef, le général commandant la 26e division, qui est entrée la première à Saint-Mihiel, les membres du Conseil municipal, des vieillards, des femmes, des enfants.

Nous voici devant cette mairie familière, où je suis venu tant de fois pendant vingt-cinq ans, avec l’ancien maire, le brave M. Phasmann. Il y a moins de deux jours, c’était encore la Kommandantur. Je me rappelle le jour où, de la