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LA VICTOIRE

lisière de Malinbois, avec le roi des Belges, je regardais la ville occupée par les Allemands et l’horloge de l’église, dont l’aiguille avançait si lentement.

Dans la salle de la mairie, où sont groupés les représentants, les conseillers, les notables, je tâche d’exprimer en quelques mots les souhaits de la France à la ville libérée. Mais je ne puis retenir mes larmes. Je rappelle qu’à plusieurs reprises, je suis venu à nos premières lignes voir Saint-Mihiel sans pouvoir y entrer et que mon cœur y volait par-dessus les tranchées. Le docteur Thiéry, maire de Saint-Mihiel, m’exprime les vœux de bienvenue de la population. Les jeunes filles offrent à ma femme, aussi émue que moi, une magnifique corbeille de fleurs. Tous les yeux sont mouillés. Nous sortons. La foule est encore plus dense. Les soldats se sont mêlés aux civils. Beaucoup de Français ; quelques Américains. Je reconnais des figures de vieux électeurs. Je suis arrêté de nouveau à chaque pas. Les maisons sont déjà pavoisées. La ville, sortie de son cauchemar, a pris un air de fête. Nous entrons dans la petite maison où s’est réfugiée Mme  Phasmann, femme de l’ancien maire. Elle achève sa toilette, mais nous forçons sa porte. Elle veut, à tout prix, me recevoir dans son petit salon, au premier. Nous y montons, nous restons quelques minutes avec elle, ma femme, Develle, Grosdidier, Thiéry. Elle n’est pas changée, à peine un peu maigrie.

Thiéry nous fait ensuite passer par la grande place, pour nous montrer le pont écroulé dans la Meuse et remplacé par une passerelle. Nous sommes rejoints par une brave femme, pâtissière, Mme  Rollot, qui se jette au cou de ma femme, en criant : « Ils m’ont enlevé mon petit garçon ! » Il a été emmené en otage avec une vingtaine de gamins de son âge. Nous essayons de la consoler