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OPÉRATION SUR CONSTANTINOPLE

« Je tiens à vous dire que je viens de recevoir le général Spiers. Il m’a indiqué qu’une opération sur Constantinople pourrait avantageusement être conduite par une armée britannique seule. » Je ne puis m’empêcher de répondre par téléphone : « Ah ! vous voyez ! » Aussitôt je sens, au bout du fil, la vanité de Clemenceau blessée. Il me réplique « Vous voyez, vous voyez ! Je n’ai pas besoin, croyez-moi, que vous m’ouvriez les yeux. » Il s’arrête, puis il reprend : « J’ai répondu tout de suite à Spiers : « Qui est-ce qui vous envoie ici ? Est-ce Wilson ? Non ? Est-ce Lloyd George ? Non ! Alors, vous venez de votre propre autorité ? Oui. Eh bien, sachez que j’aimerais mieux partir que d’accepter votre projet. Je ne crois pas que le général Franchet d’Esperey se soit mal comporté à la tête de l’armée d’Orient. Il n’y a aucune raison pour le déposséder de son commandement. Du reste, je ne juge pas nécessaire d’avoir une armée importante pour marcher sur Constantinople. La simple menace suffira. » Et Spiers est parti sans insister. Voilà. Je vous tiens simplement au courant.

— Je vous remercie, dis-je. C’est exactement ce que je craignais.

— Vous n’avez rien à craindre. Je suis là et je ne laisserai pas faire.

— Je ne craignais rien de vous, bien entendu, mais je craignais des Anglais le projet pour lequel vous venez d’être pressenti.

— Enfin, j’ai voulu simplement vous mettre au courant. »

Dans l’après-midi, Leygues me rapporte que l’amiral Grassi, attaché naval italien, est venu lui dire que son gouvernement tient prêt un bâtiment pour une expédition à Smyrne ou sur tout autre point de l’Asie mineure.

Je réponds à Leygues qu’il me paraît impossible