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LA VICTOIRE
« Mon cher Président,

« Je ne saurais, à mon tour, admettre que vous m’accusiez de pouvoir personnel, alors que vous savez mieux que personne avec quelle conscience j’ai toujours exercé mes fonctions.

« Je ne vous ai nullement attribué l’intention de couper les jarrets à nos troupes, ce qui serait une absurdité. Si vous relisez ma lettre avec sang-froid, vous verrez que, tout au contraire, j’ai dit que tout le monde avait confiance en vous pour empêcher les alliés de tomber dans un piège et que tout le monde espérait fermement qu’on ne couperait pas les jarrets à nos troupes. Comment ce « on » vous viserait-il, alors que vous n’avez pas encore, que je sache, arrêté votre décision et que, d’un bout à l’autre, ma lettre est pleine de déférence pour vous. Si, par « on », j’avais voulu dire « Vous », j’aurais dit Vous. Je n’ai pas plus que vous l’habitude de biaiser.

« Lorsque le 24 et le 25 mars derniers, j’ai amicalement protesté contre votre idée de quitter Paris, je vous ai donné un conseil que j’avais le droit de vous donner dans le secret de notre correspondance et qui, je crois, n’était pas mauvais.

« Vous m’avez toujours reconnu le droit de vous exprimer mon opinion. Je n’ai pas abusé de ce droit, mais j’en ai usé, parce qu’il était la contre-partie d’un devoir. En vous écrivant aujourd’hui, avec une franchise qui n’avait, je crois, rien d’indiscret ni d’inconvenant, j’ai simplement voulu vous mettre en garde contre une détermination qui n’est pas prise et que je considérerais comme néfaste, non seulement pour la France, mais pour vous-même. Ma lettre ne justifiait nullement l’injure que vous m’adressez ni la démission dont vous me menacez et qui serait désastreuse pour le pays. »