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LA VICTOIRE


Jeudi 24 octobre.

Je repars avec les représentants de l’Aisne et ma suite ordinaire pour Saint-Quentin, où aucune locomotive française n’a paru depuis quatre ans. Reçu par le général Nollet, je parcours la ville pour me rendre compte des attentats commis par les Allemands qui ont détruit toutes les usines, filatures, tissages, sucreries, brisé les métiers, volé les dessins et les modèles, pillé toutes les maisons et violé les tombes des cimetières pour enlever le plomb des cercueils. Le général Debeney, commandant d’armée, vient me saluer. Je le retiens à déjeuner avec mes compagnons de tournée.

Je pars ensuite en auto pour Fresnoy-le-Grand et pour Bohain, communes qui viennent d’être délivrées par nos armées. Dans ces deux localités, se renouvellent les scènes émouvantes de Laon. À Bohain notamment, la réception qui m’est faite est inimaginable. De toutes les maisons sortent des vieillards, des femmes et des enfants qui se précipitent au-devant de moi. J’ai tort d’écrire « moi », car cette réception s’adresse au président de la République, sans acception de nom ni de personnalité. À un moment donné, une colonne de prisonniers allemands qui viennent d’être capturés dans un bois voisin, passe sous la garde de soldats anglais et les habitants, retrouvant vaincus et captifs ceux qui leur ont infligé quatre années de tortures, poussent le cri répété de « Vive la France ! » Lorsque je remonte dans mon auto découverte après avoir laissé des secours pour les malheureux, la Marseillaise jaillit spontanément de toutes les poitrines.

Je reprends mon train à Saint-Quentin et rentre à Paris dans la nuit.

Samedi 26 octobre.

Ce matin, Pichon vient le premier dans mon