Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 5, 1929.djvu/180

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je n’ai eu à me plaindre d’aucun de vos collègues. — Je verrai M. Clemenceau. — Parfait. Il est encore venu aujourd’hui à l’Élysée, mais il était très sombre et il m’a semblé que son génie critique se réveillait au bruit des mauvaises nouvelles. — Je prierai également Malvy de pressentir Marcel Sembat, car je crois qu’il serait bon d’obtenir la collaboration d’un socialiste. — D’accord. — Je vous demanderai enfin, monsieur le président, de vouloir bien convoquer vous-même Millerand, Delcassé et Briand. Ce sont, je crois, les trois seuls représentants modérés dont je puisse, en ce moment, faire accepter par la Chambre l’accession au pouvoir. »

Viviani s’en va et, bientôt après, revient : « J’ai trouvé, me dit-il, Clemenceau dans un état de violente exaspération. « Non, non, m’a-t-il répondu, ne comptez pas sur moi. Dans quinze jours, on vous ouvrira le ventre. Non, non, je n’en suis pas. D’ailleurs, vous êtes victime des généraux de jésuitière. C’est ce Castelnau qui est cause des défaites lorraines. Il faut en finir ». Après ce débordement de paroles passionnées, Clemenceau a eu une véritable crise de larmes et, brusquement humanisé par la douleur, il s’est jeté dans mes bras ; mais il a persisté à me refuser son concours. — Ne vous découragez pas, dis-je à Viviani ; faites un nouvel effort. — J’en ai assez ; je ne lui demanderai plus rien. Jamais, d’ailleurs, il n’acceptera que la présidence du Conseil. Je la lui céderai bien volontiers, monsieur le président, si vous m’en exprimez le désir. — Non, mon cher ami, répliqué-je. Vous n’avez pas perdu la confiance des Chambres. Je n’ai aucun motif ni aucun droit de me séparer de vous.