Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 5, 1929.djvu/184

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Je finis par leur arracher à tous trois l’aveu que leur opposition tient surtout à la présence de M. Messimy au ministère de la Guerre. Ils savent bien qu’il ne s’est jamais occupé des opérations militaires et qu’il est entièrement étranger à nos défaites. Ils ne contestent ni la vivacité de son intelligence, ni la ferveur de son patriotisme ; mais ils le trouvent, en ce moment, surmené et nerveux ; il lui reprochent, en outre, les communiqués faits à la presse, non par lui certes, mais sous sa responsabilité, communiqués qui ont été, depuis quinze jours, d’un optimisme béat, qui ont systématiquement insisté sur les prétendues faiblesses de l’armée allemande et qui ont trop caché au pays les réalités de la guerre. Là-dessus, ils n’ont pas tort et leurs observations ne concordent que trop avec celles que j’ai faites souvent à Viviani. Mais la faute est beaucoup moins imputable à M. Messimy qu’au G. Q. G. Après un entretien prolongé et, par moments, assez pénible, Millerand, Briand et Delcassé, s’en vont, toujours inséparables, en me promettant une réponse pour demain.

M. Noulens, ministre des Finances, m’avait rapporté, d’après l’agent de publicité Lenoir, ce propos de Clemenceau: « Je formerai un cabinet moi-même et je prendrai Millerand, Briand et Delcassé. » J’avais répété ce mot à mes trois visiteurs. Briand s’était contenté de sourire ; Delcassé était resté coi ; Millerand avait dit, d’un ton rogue : « En ce qui me concerne, il faudrait être deux pour cela. » Il n’en reste pas moins que, d’après ce qui me revient de plusieurs côtés, Clemenceau a, depuis quelques jours, gagné des points dans l’opinion. Il plaît à une partie du pays par ses démonstrations d’énergie, par son impassibilité