Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 5, 1929.djvu/196

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Après quelques semaines de trêve, nous voici brouillés comme avant la guerre ; et cette fois, comme la première, j’ai vraiment conscience de n’être pour rien dans la rupture. À la fin de la journée d’avant-hier, MM. Dubost et Deschanel étaient venus me raconter, non sans émotion, une démarche qu’il avait faite auprès d’eux. Il leur avait amené les adjoints au maire de Lille qui protestaient contre l’abandon de cette ville par nos troupes. « Je ne sais de cette affaire, leur avais-je dit, que ce que m’en a rapporté M. Messimy. Il m’a affirmé que l’évacuation de Lille lui avait été, non seulement proposée par le général d’Amade, qui déclarait ses contingents territoriaux incapables de défendre la ville, mais demandée par le maire lui-même qui, croyant vaine une tentative de défense, redoutait pour ses concitoyens les effets de l’artillerie lourde. » C’est sur ces doubles instances que M. Messimy avait pris la décision d’autoriser le général à ramener ses troupes en arrière. Mais on avait commis la faute de laisser à Lille des automobiles et des céréales. M. Clemenceau avait vu, dans cet incident, l’effet d’une inertie gouvernementale et, plus qu’au gouvernement, il s’en était pris, suivant sa pente naturelle, au président de la République, à qui il fait volontiers l’honneur, depuis dix-huit mois, d’attribuer tout ce qu’il juge répréhensible. M. Ribot m’avait, à son tour, raconté ce matin qu’il était allé, comme nouveau ministre, saluer M. Clemenceau, avec lequel il entretient, en apparence au moins, d’assez bons rapports, et qu’il l’avait trouvé très aigri contre moi. Je devine sans peine d’où lui vient cette humeur. Je me rappelle la suggestion qu’a faite à M. Noulens