Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 5, 1929.djvu/214

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les Allemands ont incendié la célèbre bibliothèque de Louvain, qu’en France une brigade ennemie a atteint la Somme à Brie, qu’une forte colonne est entrée dans la forêt de Nouvion, qu’une division d’infanterie a attaqué le IXe corps français dans la région de Dommery, que du côté de Mouzon, les troupes allemandes se sont avancées sur la rive gauche de la Meuse, qu’en Lorraine notre 1re et notre 2e armées ont repris l’offensive, mais ne progressent que lentement, qu’en Haute-Alsace, des forces sérieuses, venues de NeufBrisach et de Huninghe, convergeraient sur Belfort.

Si discrets qu’ils soient, les bulletins officiels de retraite commencent à troubler un peu, çà et là, l’opinion publique. Certains cercles parisiens, demeurés ouverts, donnent asile à quelques oisifs grincheux, qui colportent des récits décourageants. Un mal nouveau, pour lequel il va falloir un mot nouveau, le défaitisme, commence à sévir. Mon courrier se gonfle de plus en plus. Ce ne sont que critiques, plaintes, récriminations, et aussi pétitions de prêtres ou de femmes, qui me demandent avec insistance de vouer la France au Sacré-Cœur. Beaucoup de ces requêtes sont touchantes de sincérité, de douleur et de foi ; d’autres paraissent malheureusement inspirées par la passion politique, plutôt que par le sentiment religieux. Nos défaites y sont présentées comme un châtiment mérité, infligé par Dieu à la République. L’union sacrée serait-elle donc menacée ? Non, je ne le crois pas. Malgré leur abondance quotidienne, ces lettres désenchantées ne sont après tout, dans l’unanimité de la confiance, que des exceptions négligeables.