Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 5, 1929.djvu/249

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Dans la journée, le général Joffre rédige un nouvel ordre pour les commandants d’armées. Il confirme ses instructions d’hier, mais, comme l’armée Lanrezac n’est pas encore décrochée, il n’annonce toujours pas comme immédiats l’arrêt de la retraite et l’offensive générale. Il prévoit même qu’en fin de repli, sur la Seine et sur l’Yonne, les troupes pourront se recompléter par les envois des dépôts. Il rappelle les conditions auxquelles il subordonne encore sa décision : tous les corps d’armée en place et l’armée anglaise prête à se battre à nos côtés. Mais, comme il espère que ces conditions ne tarderont pas à se réaliser, il recommande dès maintenant à chacun « de tendre ses énergies pour la victoire finale. » Joffre n’est pas définitivement assuré de la conversion de von Klück, mais elle se dessine de plus en plus et ce matin encore, paraît-il, un éclaireur, le capitaine Fagolde, a trouvé sur le cadavre d’un officier allemand, tué hier, une note où est prescrit ce changement de direction. L’heure décisive approche et c’est à ce moment même que nous sommes condamnés à quitter Paris. J’ai beau me raisonner. Je sens, à chaque minute qui passe, grandir ma tristesse et mon humiliation.

Par une coïncidence où je ne puis me défendre de voir une ironie du destin, ce jour où nous nous éloignons de notre capitale est celui que choisissent nos alliés russes pour débaptiser la leur. Un ukase signé par l’empereur a décidé que la ville de Saint-Pétersbourg s’appellerait désormais Petrograd. M. Paléologue nous dit qu’en abolissant ainsi un nom qui a jeté un si grand éclat dans l’histoire russe, l’empereur n’a fait que s’inspirer du sentiment populaire, qui a voué à l’Allemagne une haine