Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 5, 1929.djvu/277

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du Japon et, à la manufacture de Saint-Etienne, on transformera bientôt quotidiennement en modèle 1886 mille fusils 1874. Tout cela est bien peu encore par rapport à nos besoins.

Cette insuffisance de matériel qui, par suite d’indiscrétions inévitables, commence à être connue de beaucoup de gens, sert de prétexte, dans les milieux mondains et politiques, à de nouveaux accès de « défaitisme ». Il n’est pas jusqu’à sir Francis Bertie qui ne soit un peu décontenancé et qui ne juge avec pessimisme les opérations militaires. Il va plus loin. Il critique les plans de Joffre. Il a dit aujourd’hui à Ribot que notre général en chef ne savait pas se qu’il voulait et que si lui, Bertie, il était à sa place… Qui aurait pu deviner que sir Francis cachât sous son uniforme chamarré d’irréprochable diplomate une vocation de soldat ? Mais peut-être n’est-il, après tout, que l’interprète souriant de cette mauvaise humeur passagère que Joffre cherche à dissiper chez le maréchal French.

M. Albert Thomas est revenu de Paris, le regard aigu perçant son binocle et les cheveux indociles caressant ses tempes. Il a vu, nous dit-il, tout un état-major de civils installés, sous l’uniforme, autour de Gallieni : M. Paul Doumer et son secrétaire M. Lichtenberger, M. Gheusi, M. Gunzbourg, M. Joseph Reinach, M. Klotz. Il ajoute, mais sans rien prendre au tragique, que la Guerre sociale, dirigée par M. Gustave Hervé, s’est assuré la collaboration de M. Lichtenberger, qu’elle daube sur les ministres et les parlementaires et qu’elle commence même à préconiser la dictature. Je vois le moment où, effrayés de ces nouvelles, plusieurs ministres, dont Viviani lui-même, vont redouter