Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 5, 1929.djvu/308

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cessé d’animer l’esprit bismarckien. Depuis deux ans, il était visiblement déprimé ; son état de santé toujours assez précaire s’aggravait de préoccupations que lui causaient les constantes suggestions de ses familiers. Bien que très fatigué intellectuellement,.il n’a pas été sans percevoir l’effroyable portée d’une guerre franco-allemande, mais il semble bien qu’une erreur initiale lui en ait manqué les répercussions immédiates ; il a cru que la Russie, en pleine transformation militaire, n’interviendrait pas résolument dans un conflit balkanique, que l’Angleterre, paralysée par les dissensions intestines et, d’une manière générale, peu portée à s’engager dans une guerre continentale, s’abstiendrait aussi, que l’Italie marcherait avec ses deux alliées et qu’en dernière analyse, l’Allemagne, avec ses contingents énormes, longuement préparés à la guerre, n’aurait pratiquement affaire qu’à la France. Or, celle-ci ne lui paraissait pas très redoutable, en raison surtout de l’infériorité numérique de ses troupes et des divergences d’opinions que trahissaient les débats parlementaires sur la question militaire. L’empereur croyait que le moment était enfin venu de faire triompher, par la force des armes, l’hégémonie allemande. Dans son entourage, les partisans de la guerre étaient nombreux ; mais c’est surtout le kronprinz qui était, au moins nominalement (car son envergure intellectuelle est médiocre), le chef du parti de l’offensive foudroyante contre la France. Depuis longtemps, ce parti cherchait un prétexte, n’importe lequel, pour brouiller les choses. Or, les Allemands ne sont jamais, comme on le sait, à court de querelles. Ainsi naquit le différend austro-serbe. »