Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 5, 1929.djvu/35

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il m’a tant reproché d’être le locataire passager. Il m’amène le comte Sabini, attaché commercial d’Italie, qui lui a confié, me dit-il, des idées intéressantes et qui va également me les communiquer. Les fonctions qu’exerce, auprès de son ambassade, cet homme aimable et empressé lui laissent la liberté de parler, à titre officieux, sans engager personne. Il m’expose que, contrairement aux espérances d’un grand nombre de Français, l’Italie ne peut sortir actuellement de la neutralité : « Il est trop tôt, me déclare-t-il sans ambages, pour faire la guerre à nos alliés d’hier. Peut-être le moment viendra-t-il ; mais aujourd’hui, il est nécessaire de consolider la neutralité elle-même. Pour cela, il faut naturellement promettre à l’Italie certains avantages. » Et il m’énumère toute une série de demandes imprécises, ententes économiques, collaboration en Asie Mineure, condominium méditerranéen. À ma grande surprise, M. Clemenceau ne bondit pas ; il écoute avec patience, presque avec sympathie. Cependant, comme je remarque que l’Italie s’est formellement déclarée neutre et que, pour le maintien de cette neutralité, elle n’a droit à aucune compensation, qu’elle a, du reste, signé avec nous les accords de 1902 et qu’elle ne pourrait, sans les renier, marcher avec nos ennemis, M. Clemenceau m’approuve. Mais aussitôt M. Sabini de s’écrier : « Oh ! les accords de 1902 ! Ils n’ont pas la force contractuelle de la Triple-Alliance ! » Et satisfait d’avoir jeté des semences qui germeront, pense-t-il, tôt ou tard, l’attaché commercial prend congé de moi avec mille politesses et se retire en compagnie de son illustre introducteur.

Je rapporte cette conversation à M. Doumergue.