Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 5, 1929.djvu/369

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donner immédiatement l’assurance de sa succession ; et Foch, qu’il a prévenu hier, accepte. Il est donc chargé maintenant d’assurer la défense de la région du Nord et d’arrêter les Allemands, s’ils veulent nous gagner de vitesse pour déborder notre aile gauche et arriver les premiers à la mer. Il part tout de suite pour le Nord ; il verra Cas-telnau et Maud’huy et installera probablement son quartier général à Doullens.

La situation militaire, nous dit Joffre, est sérieuse, mais non pas inquiétante. Le point noir, c’est toujours la pénurie de munitions qui va, pendant quelques semaines, probablement pendant quelques mois, sinon paralyser, du moins ralentir notre action. Le doigt sur la carte, le général nous explique en détail les mouvements préparés. Nous l’accompagnons ensuite, au milieu des acclamations des habitants, jusqu’à la petite maison qu’il habite et dans laquelle est servi un déjeuner dont la sobriété spartiate n’exclut pas l’excellence culinaire. Le général nous parle de Lanrezac, qui est, dit-il, un théoricien parfait, mais qui, d’après lui, s’est trouvé désorienté sur le terrain et auquel il attribue de lourdes fautes d’exécution. M. Bénazet, député, capitaine d’état-major du général Franchet d’Esperey, me rapportait, lui aussi, ces jours-ci, que dans l’action, Lanrezac avait, par instants, semblé déconcerté. Joffre est aussi sévère ; il va jusqu’à déclarer à Millerand : « Vous avez confié à Lanrezac la préparation de l’armée de seconde ligne, rien de mieux ; mais le jour où elle marchera, il faudra le remplacer. »

Dès le début de l’après-midi, nous prenons congé de Joffre et, en quittant Romilly-sur-Seine, nous faisons un léger détour pour traverser les champs