Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 5, 1929.djvu/411

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de garder entièrement la ligne de la mer à la Suisse, il reprend qu’il faut nous hâter de former des divisions territoriales, qu’il est aisé d« les faire venir à Paris et de les lui confier. Il se charge de les instruire et il les enverra sur le front, à mesure qu’on les lui demandera. Il est sévère pour ce qu’il appelle « l’inertie » des bureaux de la Guerre.

M. Delanney me signale, non, me semble-t’-il, sans un peu de complaisance, une campagne que mène, d’après lui, contre moi « la bourgeoisie conservatrice et, en particulier, le monde du Palais ». On ne précise, dit-il, aucun reproche, mais on est de mauvaise humeur et on s’en prend naturellement à moi. Cet état d’esprit dérive du malaise économique, de la prolongation du moratorium, de la stagnation des affaires, plus encore peut-être que des tristesses et des émotions de la guerre. Il se traduit par un persiflage discret, mais continu, contre « le gouvernement de Bordeaux », qu’on personnifie volontiers dans le président de la République.

Averti de mon arrivée à Paris par les officiers de liaison, le général Joffre vient, à son tour, passer une heure avec moi. Il est, comme à l’ordinaire, en pleine possession de soi-même et son optimisme voulu n’est nullement déconcerté par les longueurs et les incertitudes des opérations. Il persiste à penser que le gouvernement ne doit pas dès maintenant rentrer à Paris, mais les raisons qu’il invoque à l’appui de son opinion ne me paraissent pas décisives, et je ne le lui cache point. Il est plus rassuré que ces temps derniers sur la question du matériel et des munitions, malgré les mécomptes auxquels donne encore lieu la lenteur de la fabrication. Il a été très inquiet des événements