Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 5, 1929.djvu/420

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pour équilibrer son budget, M. Ribot est forcé de s’ingénier, d’autant qu’il croit difficile de demander des impôts nouveaux à des contribuables qui sont presque tous au front. Nous allons être obligés de vivre sur les avances de la Banque de France et sur les émissions de bons de la Défense nationale. Ce n’est évidemment pas là un régime budgétaire irréprochable, et cet endettement que la guerre nous impose pèsera un jour très lourdement sur notre économie nationale et sur notre monnaie.


Dimanche 1er novembre

À huit heures et demie du matin, Millerand arrive de Bordeaux. Nous partons immédiatement pour Dunkerque, lui, Ribot et moi. Impossible de voyager en chemin de fer. Toutes les lignes sont réservées, en ce moment, aux transports militaires, qui se multiplient dans la direction des Flandres. Nous faisons donc le trajet dans des automobiles du ministère de la Guerre. Jusqu’à Amiens, je prie Ribot de monter dans ma voiture. Il doit me quitter à Dunkerque, demain matin, pour se rendre dans le département du Pas-de-Calais, dont il est sénateur. Il est aujourd’hui tout à fait en forme. Il s’épanche en cordiales confidences. Il me parle des bureaux de la Guerre avec autant de sévérité que Gallieni. Il trouve, me dit-il, comme plusieurs autres ministres, Augagneur, Sarraut, Sembat, qu’il y a là une force d’inertie qu’il est nécessaire de briser… La route est délicieuse, les dernières feuilles des arbres sont dorées par l’automne, le ciel est d’un bleu transparent. Et là-bas, des hommes se tuent, par la volonté de deux monarchies ambitieuses et aveuglées.