Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 5, 1929.djvu/445

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Mardi 10 novembre

M. Malvy informe le Conseil que M. Caillaux a définitivement accepté la mission qui lui a été offerte. Je répète que l’opinion comprendra mal l’utilité de ce voyage dans l’Amérique du Sud. Mais la grande majorité du Conseil reste favorable, beaucoup moins à l’idée d’employer les talents de M. Caillaux, qu’à celle d’éloigner sa remuante opposition, « Que voulez-vous ? » me dit en raillant M. Marcel Sembat. « Bien que Caillaux n’ait pas de veine lorsqu’il est au pouvoir, il a du vif-argent dans les veines lorsqu’il n’y est pas, et il se croit prédestiné au ministère des Finances, parce qu’il s’imagine que ce vif-argent lui permettra d’en trouver du vrai. »

M. Salomon, courrier du Quai d’Orsay pour la Russie, revient de Petrograd. Il m’informe que le trop fameux Raspoutine est allé deux fois au moins chez l’impératrice pendant que l’empereur était aux armées. M. Salomon craint que ce singulier personnage ne soit en rapports secrets avec M. de Witte et n’intrigue pour une paix séparée. Il était resté en disgrâce depuis sa blessure, mais, expulsé par la porte, il essaie de rentrer par la fenêtre. M. Salomon a vu longuement M. de Witte. Celui-ci plaide la cause allemande et se montre sceptique sur les atrocités commises par les armées ennemies ; mais, si germanophile qu’il soit, il croit à la victoire de la Triple-Entente.

Malgré l’état de guerre survenu entre la France et la Turquie, le gouvernement de la République n’a pas voulu rendre responsable de cette rupture tous les sujets ottomans qui se trouvent en France. Il a décidé d’accorder des permis de séjour, non