Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 5, 1929.djvu/474

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Nous passons à Valmy, où le beau-fils de Dubost est médecin-major à l’ambulance. Le président du Sénat n’avait pas osé me demander cet arrêt, qui nous obligeait à un petit détour ; mais, lorsque je le lui ai proposé, sa bonne humeur a tourné en franche gaieté. Je vois venir le moment où je ne pourrai pas l’empêcher de me faire un cours sur la bataille de Valmy, de m’expliquer la tactique de Dumouriez et de Kellermann et de me démontrer qu’aujourd’hui ce serait une tentative bien dangereuse que d’entraîner les troupes à découvert en agitant les chapeaux à la pointe des sabres. Je n’échappe pas, du moins, au rappel du mot prononcé par Gœthe à Valmy : « En ce lieu et en ce jour commence une ère nouvelle pour l’histoire du monde. » — « Oui, oui, vous verrez, » me répète joyeusement Dubost. » Gœthe aura raison une seconde fois à cent vingt-deux ans de distance. »

Nous nous arrêtons au quartier général du général Gérard, auquel je remets, au passage, la plaque de grand officier. Gérard a été autrefois, à Madagascar, chef d’état-major de Gallieni. Il commande depuis le début de la guerre le IIe corps d’armée et a livré avec lui la bataille de Mangiennes. En septembre, il a été chargé de défendre l’Argonne et il a chaque jour à soutenir, dans « ces Thermopyles de la France », de très rudes combats. Nous parcourons ensemble la pittoresque région de collines forestières, dont j’ai si souvent visité la partie meusienne, et dont les célèbres défilés ont jadis gravé leurs noms dans ma mémoire de collégien. Nous allons, sous un ciel bas, au milieu d’arbres dépouillés, saluer des troupes dans des huttes en bois, meublées de couchettes, de tables et d’escabeaux. Nous nous arrêtons auprès