Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 5, 1929.djvu/484

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

temps est assez clair et nous pouvons aisément nous rendre compte du front occupé par nos troupes. Nous assistons à un combat d’artillerie. Ce sont surtout nos batteries du fort de Liouville qui tirent. Elles arrosent les abords de la redoute du Bois Brûlé et le bois Jurat. Des lueurs, de la fumée, un bruit sourd de tonnerre lointain. C’est toute la bataille. Nous n’apercevons ni un cavalier, ni un fantassin. Il y a cependant cent mille hommes dans chaque armée, mais ils sont terrés dans des trous, et l’immense plaine qui se déroule à nos pieds paraît déserte.

Le fort de Gironville ayant été canonné le 31 octobre, le général Dubail a craint qu’un cortège d’automobiles n’attirât un nouveau bombardement. Je me fais donc conduire, avec Dubost et les généraux Dubail et Duparge, en une seule voiture discrète et rapide. Dans le fort, que les obus ont encadré sans l’endommager, je tenais à voir mon jardinier du Clos, Eugène Aujard, que j’y savais mobilisé comme réserviste. Sa femme a dû quitter ma propriété de Sampigny où les obus continuent à pleuvoir sur la villa et sur les arbres. Nous allons louer une maison à Bar-le-Duc pour l’y loger, elle et ses enfants, avec les débris de notre mobilier.

Nous descendons sur Toul par Gironville, Jouy-sous-les-Côtes, Corniéville, en espaçant les automobiles, pour ne pas trop éveiller la curiosité des Allemands. Le général Rémy, gouverneur de Toul, nous montre l’organisation défensive des positions avancées de la place sur les collines et dans les bois ; il nous conduit à des batteries d’artillerie et à des ouvrages d’infanterie, exécutés depuis le début des hostilités et destinés à remplacer les