Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 5, 1929.djvu/7

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sion ; il a subit après la paix de Francfort, l’épreuve d’une occupation prolongée et mes premiers souvenirs de collège sont assombris par des défilés de casques à pointe. Les populations au milieu desquelles j’ai grandi ont gardé, comme moi, l’obsession de ces lugubres années. Quelle douleur qu’elles ai ressentie à voir la France démembrée, elles n’ont jamais souhaité qu’elle prit un jour par les armes une revanche dont les risques n’échappaient point à leur clairvoyance et dont elle savaient qu’elles auraient, plus que les autres provinces, à supporter la lourde rançon. Le même instinct de sécurité, moins fort peut-être loin de la frontière, mais conservé dans tout le pays à des degrés inégaux, inspirait la même sagesse à la presque totalité du peuple français. Si l’alliance russe avait été, dès son origine, favorablement accueillie par l’ensemble de l’opinion publique, c’est parce qu’elle semblait nous offrir une garantie permanente contre les provocations ou les menaces de sa présomptueuse devancière, la Triple-Alliance. La Triple-Entente, à son tour, n’était devenue populaire en France que parce qu’elle nous apparaissait comme une assurance encore plus efficace contre un danger grandissant. Voici cependant que, malgré quarante-quatre années de prudence et de circonspection, le malheur que nous nous étions efforcés de conjurer vient fondre sur nous. Est-ce possible ? Et que nous réserve le destin ?

Je ne puis me défendre de séreuses appréhensions. Sans doute, notre situation diplomatique est aujourd’hui meilleure qu’elle ne l’a jamais été. En dépit de régimes politiques très dissemblables, la France et la Russie se sont accoutumés à con-