Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/141

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est celle-ci. On a eu tort de retenir, au grand quartier général, le pouvoir de mettre les réserves à la disposition du commandant d’armée ; on a ainsi ralenti les mouvements et donné aux Allemands le temps de se rétablir dans les secondes lignes, aussi fortifiées que les premières.

Dimanche 28 mars.

Je pars de Châlons vers sept heures et demie du matin, seul en automobile avec le général de Langle. Duparge et Pénelon suivent dans une autre voiture. Nous descendons la vallée de la Tourbe, par Somme-Tourbe, Saint-Jean-sur-Tourbe, Laval, Wargemoulin. Spectacle d’une épouvantable désolation. Tous les arbres ont été coupés au ras du sol. Plus une plante, plus un brin d’herbe. Ce ne sont que terres arides et crayeuses. Des hommes, des convois, des chevaux, appartenant aux XVIe et XVIIe corps, vont et viennent dans la poussière. Nous nous arrêtons à Wargemoulin, village entièrement détruit, dont les caves servent d’abris à nos soldats. Tout le long de la vallée, des huttes en planches, des gourbis, des trous de troglodytes, quelques tentes, forment les logements des troupes. Pour que nos automobiles n’attirent pas l’attention des aviatiks, nous nous rendons à pied, dans une zone souvent balayée par l’artillerie allemande, jusqu’au poste de commandement du général Vidal, chef d’une des deux divisions du XVIe corps. Le terrain que nous suivons est ça et là creusé par des « marmites ». À peine le général Duparge est-il descendu de son automobile qu’elle est, derrière lui, fort exactement encadrée par deux bombes, qui éclatent avec un dégagement d’épaisse fumée noire, mais qui n’atteignent personne. Avant d’arriver au poste de commande-