Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/47

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clamés en vain. Tout en reconnaissant la justesse de mes observations, M. Bark se borne à me promettre d’en faire part au gouvernement du tsar.

Le lendemain mercredi 3, sir Francis Bertie me présente M. Lloyd George[1]. Autant le ministre gallois a été, dans le cabinet britannique, durant les jours qui ont précédé la guerre, peu favorable à l’Entente cordiale, autant il se montre aujourd’hui ferme et résolu. Il s’est adapté aux événements avec une extraordinaire souplesse d’intelligence. Je suis frappé de sa physionomie mobile et passionnée, qui est d’un artiste, plutôt que d’un homme d’État. Les cheveux gris, longs et ondulés, les yeux vifs, le teint frais, il a l’air d’un musicien qui apparaît sur l’estrade pour jouer un morceau de violoncelle. Mais il se contente de parler et de chercher à séduire ses interlocuteurs. Il pétille d’esprit et sa verve paraît inépuisable. Je ne sais si, sous cette brillante surface, il n’y a point quelques vides. Ses adversaires lui reprochent d’être superficiel et versatile. Pour l’instant, je cède sans remords au charme qui se dégage de sa personne. Il ne sait pas un mot de français et sir Francis nous sert gracieusement d’interprète. Lloyd George m’affirme que le conseil supérieur britannique de la Guerre, composé de Asquith, de Grey, de Kitchener, de Churchill et d’un représentant de l’opposition, Balfour, est unanime à penser qu’il est indispensable d’envoyer en Grèce et en Serbie un corps franco-anglais, c’est-à-dire une division anglaise et une division française. Le gouvernement, anglais tout entier partagera certainement cet avis. On pourrait, d’ailleurs, commencer par poser à la Roumanie cette ques-

  1. V. The diary of lord Bertie, chap. vii.