Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/56

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nit et du grès rouge. Malheureusement, la brume empêche la vue de s’étendre au loin et de découvrir tous les plans de ce tableau grandiose. Le Saut des Cuves, le lac de Longemer, le lac de Retournemer sont complètement solidifiés. Après avoir changé de voiture, pour passer du tramway à vapeur dans le tramway électrique, nous montons jusqu’aux anciennes douanes. Au débarcadère de la Schlucht, nous attendent des traîneaux attelés de mules noires. Avant d’y prendre place, je passe en revue, près de la crête des Vosges, les chasseurs du 3e bataillon territorial et une compagnie du 12e bataillon actif, et je trouve là, parmi les officiers, deux anciens camarades, à qui je suis heureux d’adresser mes vœux. Je m’assieds alors dans le traîneau qui m’est réservé et dont l’avant, en forme de proue, figure un grand cygne. Dans cette nacelle de Lohengrin, le général Pütz se place à côté de moi, et trois mules nous traînent paisiblement jusqu’à une ferme, située sur les pentes, au sud de la Schlucht, et transformée en boulangerie militaire de campagne. Une trentaine d’hommes sont employés à y cuire, dans des fours improvisés au creux du sol, un pain qui fleure très bon. Un peu plus loin, nous voyons sortir de la brume, comme des diables vêtus de bleu, un peloton de chasseurs alpins, chaussés de skis et s’exerçant sur la neige. Ils évoluent devant nous, dévalent de la montagne, virent, remontent, tombent, se relèvent, glissent silencieusement et tournoient autour de nous comme des lutins. Entourés de cette escorte de skieurs, nous revenons en traîneau jusqu’à la route. Là, nous mettons pied à terre et, traversant l’ancienne frontière, nous poussons sur territoire alsacien jusqu’à cet hôtel de l’Altenberg, où je me suis arrêté, il y a quelques années, avec Mme  Poin-