Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/61

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tout ce qu’il était possible de prévoir. Mais la nuit vient. Les sommets neigeux se couronnent de rose ; le ciel prend des tons gris perle. Je voudrais m’attarder au centre de ce paysage splendide. Je voudrais surtout pousser jusqu’à Thann, que je sais en partie détruite par le bombardement. Mais le général Pütz me dit avec insistance que ma visite, si elle est connue des Allemands, aura, comme récemment celle du général Joffre, l’inconvénient d’attirer sur la malheureuse ville de nouveaux obus. Je suis bien forcé de m’arrêter devant cette objection et je remonte à regret la vallée jusqu’au col de Bussang, d’où je regagne la préfecture d’Épinal.

Le vendredi, dès l’aube, nous partons pour Belfort, où le gouverneur, le général Thévenet, nous fait les honneurs de la citadelle et du château, et nous rentrons en Haute-Alsace par le village de Schaffnat am Weiher ou Chavannes-sur-l’Étang. Le maire et les conseillers sont venus me saluer au passage. De là, nos automobiles nous conduisent rapidement à Montreux-le-Vieux ou Altmunsterol, et nous nous arrêtons aux écoles, dont les enfants me remercient gaiement des jouets que je leur ai envoyés à Noël. Deux sous-officiers français et deux jeunes femmes du pays ont été, depuis l’occupation, chargés de faire la classe et d’enseigner notre langue. Les élèves debout chantent la Marseillaise. Je vois devant moi des officiers pleurer.

A Dammerkirch ou Dannemarie, l’accueil est plus réservé. Je passe en revue des troupes rangées sur la grande place. Les habitants, debout sur le pas des portes, sont respectueux et polis, plutôt qu’empressés. Le général Chateau, qui commande dans la ville, me dit que la population