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Conseil des ministres, au ministre de la Guerre. Pour copie conforme. Signé : C. de Freycinet. »

Je donne lecture de cette pièce au Conseil des ministres, et-il est convenu que je recevrai dans la journée, mais en présence de Viviani et de Millerand, le bureau de la commission sénatoriale. J’ai moi-même réclamé maintes fois la formation d’une armée complémentaire. Le Conseil des ministres tout entier a partagé mon opinion. Millerand s’est laissé convaincre. Mais il s’est heurté longtemps à l’opposition de Joffre. Le jour où le général en chef est venu déjeuner avec les membres du gouvernement, il a pris nettement position, aussi bien contre la formation d’une armée de manœuvre que contre celle d’un corps expéditionnaire. Aujourd’hui, il paraît converti à notre idée, mais Millerand a encore rencontré dans l’exécution de telles difficultés qu’il n’a pas osé faire une promesse ferme à la commission. De là, l’incident qui est survenu et dont j’ai été saisi.

Voici donc qu’arrivent à l’Élysée Freycinet, Léon Bourgeois, Clemenceau, Doumer et Boudenoot. Clemenceau entre l’air bougon et, de sa main gantée de gris, serre mollement celle que je lui tends. Je commence par faire observer à mes visiteurs que leur démarche est un peu insolite, que je n’ai pas le droit d’entrer en délibération avec les Chambres ou avec leurs commissions, mais qu’à titre exceptionnel et à raison des circonstances, je suis prêt à écouter. Ils me répondent que la faculté d’interpellation étant, en fait, supprimée, ils n’ont d’autre ressource, lorsqu’ils sont en conflit avec le gouvernement, que d’avoir recours à ma juridiction. C’est le mot dont se sert Freycinet. Quant à Clemenceau, il déclare moins aimablement qu’il veut décharger sa responsa-