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RAYMOND POINCARÉ

Pour que le gouvernement russe fît si bon marché des recommandations matinales de M. Viviani, il fallait évidemment qu’il fût sous l’influence dominante de très graves appréhensions. On était certainement très effrayé à Saint-Pétersbourg des préparatifs allemands et, comme on savait la mobilisation russe très lente, on craignait d’être dangereusement devancé.

En outre, le Lokal Anzeiger avait, vers 13 h. 30, lancé à Berlin la nouvelle de la mobilisation générale allemande et l’ambassadeur de Russie, Sverbéjef, prévenu par le représentant d’une agence, avait, à 14 h. 30 environ, télégraphié à M. Sazonoff : J’apprends que le décret de mobilisation générale de l’armée et de la flotte vient d’être promulgué. Informé très peu de temps après, par M. de Jagow lui-même, que la nouvelle était fausse, Sverbéjef avait immédiatement fait partir en clair et en chiffre deux télégrammes de rectification. Jusqu’à quel point la publication du Lokal Anzeiger a-t-elle influé sur la détermination russe ? C’est une question qui a fait couler beaucoup d’encre. Il reste toutefois que l’on n’a pas pu ne pas se dire à Saint-Pétersbourg, comme ailleurs, qu’il n’y avait pas de fumée sans feu et que l’information du Lokal Anzeiger était peut-être plus prématurée qu’inexacte. On a dû d’autant plus facilement s’arrêter à cette idée que l’État-major russe avait déjà reçu, par ailleurs, de telles indications sur les dispositions allemandes qu’il avait cru devoir, comme on l’a vu, nous annoncer l’imminence d’une mobilisation générale.

Il est, du reste, à noter que, tout en décrétant la mobilisation, la Russie, non seulement demeure, comme le dit M. Sazonoff, prête à négocier, mais négocie effectivement. Le ministre des Affaires étrangères voit longuement le comte de Pourtalès dans la journée du 30 ; et, à la demande de l’ambassadeur, il précise par écrit les conditions qu’il est disposé à accepter : l’Autriche reconnaîtra que le conflit austro-serbe a pris le caractère d’une question d’intérêt européen ; elle éliminera de son ultimatum les points qui portent atteinte aux droits souverains de la Serbie. En retour, la Russie s’engage à cesser tous préparatifs militaires et elle s’abstiendra, en attendant, de tout acte d’hostilité contre l’Autriche, si elle n’est pas provoquée par cette puissance. La proposition de M. Sazonoff mérite, à tout le moins, d’être examinée. Lorsque l’ambassadeur Sverbéjef la soumet, vers cinq heures de l’après-midi, à M. de Jagow, le ministre la déclare nettement inacceptable pour l’Autriche. Sir Ed. Grey lui-même ne la trouve guère satisfaisante et il prie sir G. Buchanan d’y faire substituer une autre rédaction : Si l’Autriche, ayant occupé Belgrade et les territoires serbes environnants, se déclare prête, dans l’intérêt de la paix européenne, à cesser son avance, et à discuter comment on peut