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COMMENT FUT DÉCLARÉE LA GUERRE DE 1914

n’accentuait pas les divisions internationales pouvait être gagnée pour la paix. M. Viviani a donc éludé la question et dit simplement à M. de Schœn : « Laissez-moi espérer encore que l’on évitera les décisions extrêmes et permettez-moi de prendre le temps de réfléchir. » M. de Schœn a déclaré qu’il viendrait chercher la réponse demain, au commencement de l’après-midi. C’était un ultimatum courtois et à peine déguisé. Tout à coup, l’ambassadeur s’est levé, s’est dirigé vers un meuble où il avait déposé son chapeau et a dit à M. Viviani : « Si je suis forcé de quitter Paris, je compte que vous voudrez bien me faciliter mon départ. — Sans doute, a répondu le président du Conseil, mais il n’est pas question de cela. Les Puissances causent encore et j’espère bien avoir le plaisir de vous voir souvent. » M. de Schœn a poliment murmuré un « moi aussi », qui ne semblait pas très encourageant et il a repris : « Monsieur le Président, vous voudrez bien présenter mes respectueux hommages à M. le Président de la République et me remettre mes passeports. — Non, monsieur l’ambassadeur, a insisté M. Viviani, non, je ne présenterai pas vos hommages. » Et, pour adoucir tout de suite ce qui pouvait paraître un peu vif dans cette réplique, il a répété : « Pourquoi nous quitter ? M. de Pourtalès est resté à son poste de Saint-Pétersbourg, l’ambassadeur d’Autriche est ici. Pourquoi donner le signal du départ et prendre sans ordre cette responsabilité ? » M. de Schœn ne disait rien et penchait la tête. M. de Margerie, qui assistait à l’entretien, a ajouté : « Vous qui avez donné des preuves de modération pendant toute votre carrière, vous ne pouvez pas la terminer dans le sang. » M. de Schœn s’est incliné et, avant de partir, a répété qu’il viendrait chercher le lendemain, 1er  août, la réponse à la question qu’il avait posée.

À la vérité, le baron de Schœn n’avait pas tout dit à M. Viviani. Il avait trouvé si brutale la mission qu’il avait reçue de Berlin qu’il ne l’avait pas accomplie tout entière, et il n’avait pas reproduit devant le président du Conseil la phrase capitale des instructions qui lui avaient été adressées : La mobilisation signifie inévitablement la guerre. Ce télégramme de la Wilhelmstrasse, également déchiffré plus tard, était ainsi conçu : Office des Affaires étrangères Berlin à Ambassade allemande Paris. Berlin, 31 juillet 1914, 4 h. 10. La Russie a, malgré notre action médiatrice encore en cours, et bien que nous n’ayons nous-mêmes pris aucune espèce de mesures de mobilisation, décidé mobilisation de son armée et flotte entière, par conséquent aussi contre nous. Nous avons là-dessus déclaré état de danger de guerre, que mobilisation doit suivre au cas où la Russie ne suspendrait pas dans les douze heures toutes mesures de guerre contre nous et l’Autriche. La mobilisation signifie inévitablement la guerre. Veuillez demander au gouvernement français s’il veut, dans une guerre russo-allemande, rester neutre. Réponse doit être donnée dans les dix-