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COMMENT FUT DÉCLARÉE LA GUERRE DE 1914

gouvernement impérial, dans l’intérêt supérieur de la paix, n’évite, pour sa part, tout ce qui pourrait ouvrir la crise. Signé : René Viviani.

Comme le texte l’indique, ce télégramme a été rédigé et signé, après le départ de M. de Schœn, et avant que M. Viviani eût pris connaissance du télégramme de M. Paléologue. Il a été envoyé dans les bureaux pour être chiffré, et il est parti du Quai d’Orsay en deux morceaux à 21 heures et 21 h. 30. Il y avait une demi-heure et une heure que le télégramme de M. Paléologue était arrivé, mais il avait fallu le déchiffrer et le porter à M. Viviani, qui était rentré chez lui, puis était venu, le soir, au Conseil des ministres et qui n’a pas eu le temps d’arrêter son propre envoi. Si inutiles que fussent désormais ses instructions, elles prouvaient, une fois de plus, non seulement que la France était restée étrangère à la mobilisation générale de la Russie, mais qu’elle continuait à regretter cette mesure et à la trouver précipitée.

Lorsque MM. Hans Delbrück, Max Graf Montgelas, Max Weber et Albrecht Mendelssohn-Bartholdy ont prétendu, en mai 1919, dans les Remarques de la délégation allemande à la Conférence de la paix, que le gouvernement français, ayant conscience de la gravité de la mesure prise à Saint-Pétersbourg, avait tenu secrète le plus longtemps possible la mobilisation russe, ils ont donc commis une lourde inexactitude.

À plus forte raison, M. Fabre-Luce a-t-il fait bon marché de la vérité, lorsqu’il a écrit : « En 1914, la décision capitale, relative à l’approbation de la mobilisation générale russe, fut prise, en dehors du Conseil des ministres, dans une réunion nocturne à laquelle participaient seulement avec lui (M. Poincaré), Viviani et Messimy. » On vient de voir, par des documents précis ; qu’il n’y a jamais eu à Paris « approbation de la mobilisation russe », que nous l’avons connue après coup et tardivement, et que peu de minutes avant de l’apprendre M. Viviani, en plein accord avec ses collègues et avec moi, venait encore de la déconseiller. D’ailleurs, le Conseil des ministres s’est réuni le soir même à l’Élysée.

Nous avions eu, dans la journée, des Conseils successifs. Lorsque le gouvernement avait connu la proclamation de l’état de danger de guerre en Allemagne, il s’était réuni de nouveau et avait été saisi par M. Messimy d’une note du général Joffre, qui considérait, disait-il, comme urgente la mobilisation complète des corps de l’Est. Il est absolument nécessaire, précisait le généralissime, que le gouvernement sache qu’à partir de ce soir tout retard de vingt-quatre heures apporté à la convocation des réservistes et à l’envoi du télégramme de couverture se traduira par un recul de notre dispositif de concentration, c’est-à-dire par l’abandon initial de notre territoire, soit de quinze ou vingt kilomètres par jour de retard. Le commandant en chef ne saurait accepter cette responsabilité. Le Conseil des ministres n’a pas cru pouvoir rester