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RAYMOND POINCARÉ

plus tard. Pendant notre voyage, le gouvernement allemand a donné l’ordre de les brouiller. Témoin les notes qui ont été relevées sur le cahier de service du poste de T.S.F. à Metz : 27 juillet 1914, heures. Le gouverneur ordonne de troubler les communications radiotélégraphiques françaises dans une forme qui ne soit pas une violation de la paix. — 3 heures. L’ingénieur des communications par T.S.F. donne l’ordre de troubler les communications radiotélégraphiques franco-russes. — 28 juillet, 4 heures. La Tour Eiffel a compris notre intention de troubler ses communications et elle essaie visiblement de nous tromper en transmettant avec une grande énergie à Dunkerque des nouvelles pour le bateau France, qui ne répond pas. Eu égard à l’importance éventuelle pour la Russie du contenu des dépêches, cette transmission est également bloquée.

Ainsi, non seulement, on a attendu notre départ de Russie pour lancer l’ultimatum ; non seulement on n’a pas voulu que le gouvernement français pût s’entendre avec ses alliés pour rapprocher l’Autriche et la Serbie, mais on fait, après coup, l’impossible pour empêcher le président de la République et le président du Conseil de communiquer avec leur pays.

Tandis que, sur une mer pâle presque déserte, indifférente aux conflits humains, nos bâtiments, séparés du monde, suivent, en ligne de file, une route monotone, qui nous semble interminable, M. Bienvenu-Martin essaie, le 26, de nous envoyer par T.S.F., à bord de la France, un compte rendu sommaire des décisions autrichiennes. Craignant de ne pas nous atteindre, il télégraphie à Copenhague, où il pense que nous allons nous arrêter et où naturellement son message ne nous touche pas : Bien que le gouvernement serbe, dit-il, eût cédé sur tous les points, sauf deux petites réserves, le ministre d’Autriche-Hongrie a rompu toutes relations, prouvant ainsi la volonté arrêtée de son gouvernement de procéder à l’exécution de la Serbie.

Dans l’après-midi du même dimanche 26, vers cinq heures, M. de Schœn se présente au Quai d’Orsay et demande à être reçu par M. Bienvenu-Martin. « L’Autriche, dit l’ambassadeur, a fait savoir à la Russie qu’elle ne poursuit ni agrandissement territorial, ni atteinte à l’intégrité du royaume de Serbie. Sa seule intention est d’assurer sa propre tranquillité et de faire la police. C’est donc des décisions de la Russie qu’il dépend qu’une guerre soit évitée. L’Allemagne se sent solidaire de la France dans l’ardent désir que la paix puisse être maintenue. Elle a le ferme espoir que la France usera de son influence, dans un sens apaisant, auprès du gouvernement russe. » Pour surpris qu’il soit de cette démarche M. Bienvenu-Martin se garde de repousser la suggestion qui lui est faite ; mais il déclare sagement : « La contre-partie naturelle des conseils de modération que la France pourrait donner à Pétersbourg serait une recommandation que l’Allemagne adresserait à Vienne pour éviter