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COMMENT FUT DÉCLARÉE LA GUERRE DE 1914

puis revient, par intervalles, me confier affectueusement ses angoisses.

Pendant que nous échangeons nos impressions, ou que nous consultons M. de Margerie, les événements se précipitent sur le continent. Lorsqu’il avait reçu le prince Lichnowsky, dans la journée du 24, sir Ed. Grey, après avoir dit qu’un État qui accepterait les conditions de la note autrichienne cesserait de compter au nombre des nations indépendantes, avait esquissé l’idée d’une médiation à quatre. L’Autriche, bien entendu, avait écarté ce projet et, le 27, son ambassadeur à Berlin télégraphiait triomphalement au comte Berchtold : Le secrétaire d’État m’a déclaré très nettement, sous une forme strictement confidentielle, que prochainement des propositions de médiation de l’Angleterre pourraient être portées à la connaissance de Votre Excellence. Mais le gouvernement allemand nous donne l’assurance formelle qu’il ne s’associera aucunement à ces propositions, qu’il se prononcera même catégoriquement contre leur prise en considération et qu’il ne les transmettra que pour tenir compte de la démarche anglaise. Tenir compte de la démarche anglaise, qui est également la démarche française, c’est donc, dans la pensée de l’Allemagne, tâcher de la faire échouer.

L’Allemagne a en vue une autre méthode. Des démonstrations enthousiastes ont lieu à Munich devant les légations de Prusse et d’Autriche. À Berlin, la foule chante la Garde au Rhin et M. Jules Cambon trouve inquiétant l’état d’esprit qui se développe. Il écrit à Paris : D’après des renseignements qui me viennent de source très sûre, l’Allemagne penserait, si la situation actuelle ne se dénoue pas pacifiquement d’ici à quelques jours et si la Russie l’inquiète, à frapper un coup… Il faut nous mettre dans l’esprit que toutes nos intentions pacifiques n’arrêteront pas l’Allemagne, tant qu’elle nous saura liée par notre alliance avec la Russie. Nous ne sommes donc pas les maîtres d’empêcher l’agression qui serait dirigée contre nous, si la guerre doit éclater entre Pétersbourg et Berlin. D’après ce qui me revient, les officiers sont tous rappelés à leurs postes et un certain nombre de mesures préparatoires sont en voie d’exécution. Ainsi que je l’ai déjà fait, j’appelle l’attention du gouvernement sur la nécessité de faire, nous aussi, sans bruit, tout ce qui peut être fait avant la mobilisation. Il me revient également que l’Allemagne est encore convaincue que l’Angleterre s’abstiendra. Ses yeux ne sont pas dessillés. Sans demander une déclaration comme celle de M. Lloyd George en 1911, il semble qu’il serait utile que l’Allemagne fût clairement avertie que le concours effectif de l’Angleterre ne nous fera pas défaut. Mais de ce concours, nous ne sommes jusqu’ici nullement assurés et, à Berlin, on répand, avec ou sans conviction, le bruit que l’Angleterre restera neutre. M. de Fleuriau, notre chargé d’affaires en Grande-Bretagne, écrit le 27 au Quai d’Orsay : L’agence Wolff a envoyé la nuit dernière un télégramme de Berlin à Londres annonçant que, pendant un entretien de samedi avec l’ambassadeur de Russie, sir Ed. Grey aurait déclaré que le gouvernement britannique se désinté-