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RAYMOND POINCARÉ

« Nous poussons autant que nous le pouvons aux conversations directes entre l’Autriche et la Russie. »

Ainsi, l’Allemagne prétendait qu’elle poussait aux conversations directes, pendant que son alliée les refusait dédaigneusement. De plus en plus préoccupé de cette attitude singulière, M. Jules Cambon se demandait si, pour faire accepter la proposition de sir Ed. Grey, on ne pourrait pas la modifier de nouveau dans le sens d’une double démarche diplomatique à Pétersbourg et à Vienne. Il s’entretenait à ce sujet avec ses collègues d’Angleterre et de Russie : J’ai ajouté, écrivait-il à Paris, qu’à raison de l’espèce de répugnance manifestée par M. de Jagow devant toute espèce d’action à Vienne il serait peut-être bon de le mettre au pied du mur et que sir Ed. Grey pourrait charger sir Ed. Goschen de demander au secrétaire d’État quelle forme, suivant lui, aurait à prendre l’action diplomatique des quatre Puissances… Nous devons nous associer à tous les efforts en faveur de la paix compatibles avec nos engagements vis-à-vis de notre alliée, mais, pour laisser les responsabilités où elles sont, il importe d’avoir soin de demander à l’Allemagne de préciser ce qu’elle veut.

Pendant que la France s’empressait ainsi de saisir tous les rameaux d’olivier qu’elle trouvait à portée de sa main, le cabinet de Vienne s’arrangeait, de nouveau, pour envenimer les choses. Dans l’après-midi du 27, l’ambassadeur d’Allemagne Tschirschky télégraphiait à Jagow que la déclaration de guerre de l’Autriche à la Serbie était imminente. La Wilhelmstrasse recevait ce télégramme à 16 h. 37 et personne ne paraissait s’en émouvoir. Le même jour, le comte Berchtold avait audience de l’empereur François-Joseph et obtenait l’autorisation d’accomplir le lendemain matin 28 l’acte irréparable. L’Allemagne aurait pu intervenir. Elle n’avait pas bougé. « Pourquoi tant de hâte ? » se demande M. Pierre Renouvin, et il ajoute : « Il s’agit, en réalité, de mettre l’Europe en face du fait accompli et principalement d’empêcher toute tentative d’intervention. Berchtold le dit nettement à l’Empereur : Je crois qu’une nouvelle tentative des Puissances de l’Entente, tendant à une solution pacifique du conflit, reste possible, tant que, par la déclaration de guerre, une situation nette n’aura pas été créée. Cette phrase cynique, qui suffit, pour tout esprit impartial, à fixer les responsabilités de la guerre, figure dans un rapport à l’Empereur, rédigé par Hoyos et présenté par Berchtold à la date même du 27 juillet. Mais à des documents authentiques comme celui-là, M. Henry Elmer Barnes, qui a la stupéfiante prétention de prononcer « a revised verdict on guilt for world war », croit suffisant d’opposer l’opinion, évidemment décisive, de MM. Victor Margueritte, Fabre Luce, Armand Charpentier, Demartial et tutti quanti.

Est-il vrai que, du 27 au 29 juillet, il se soit produit, comme l’ont pré-