Page:Poincaré - La Science et l’Hypothèse.djvu/139

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

pu servir de base aux principes de la mécanique et cependant ne pourra jamais les contredire.


La Mécanique anthropomorphique. — Kirchhoff, dira-t-on, n’a fait qu’obéir à la tendance générale des mathématiciens au nominalisme ; son habileté de physicien ne l’en a pas préservé. Il a tenu à avoir une définition de la force, et il a pris pour cela la première proposition venue ; mais une définition de la force, nous n’en avons pas besoin : l’idée de force est une notion primitive, irréductible, indéfinissable ; nous savons tous ce que c’est, nous en avons l’intuition directe. Cette intuition directe provient de la notion d’effort, qui nous est familière depuis l’enfance.

Mais d’abord, quand même cette intuition directe nous ferait connaître la véritable nature de la force en soi, elle serait insuffisante pour fonder la Mécanique ; elle serait d’ailleurs tout à fait inutile. Ce qui importe, ce n’est pas de savoir ce que c’est que la force, c’est de savoir la mesurer.

Tout ce qui ne nous apprend pas à la mesurer est aussi inutile au mécanicien, que l’est, par exemple, la notion subjective de chaud et de froid au physicien qui étudie la chaleur. Cette notion subjective ne peut se traduire en nombres, donc elle ne sert à rien ; un savant dont la peau serait absolument mauvaise conductrice de la chaleur et qui, par conséquent, n’aurait jamais éprouvé, ni sensations de froid, ni sensations de chaud, pourrait regarder un thermomètre tout aussi bien qu’un