Page:Poincaré - La Science et l’Hypothèse.djvu/249

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à ma courbe de s’écarter beaucoup des points qui représentent les mesures brutes. S’ils sont mauvais, je pourrai m’en éloigner un peu plus, afin d’obtenir une courbe moins sinueuse ; je sacrifierai davantage à la régularité.

Pourquoi donc est-ce que je cherche à tracer une courbe sans sinuosités ? C’est parce que je considère à priori une loi représentée par une fonction continue (ou par une fonction dont les dérivées d’ordre élevé sont petites), comme plus probable qu’une loi ne satisfaisant pas à ces conditions. Sans cette croyance, le problème dont nous parlons n’aurait aucun sens ; l’interpolation serait impossible ; on ne pourrait déduire une loi d’un nombre fini d’observations ; la science n’existerait pas.

Il y a cinquante ans, les physiciens considéraient une loi simple comme plus probable qu’une loi compliquée, toutes choses égales d’ailleurs. Ils invoquaient même ce principe en faveur de la loi de Mariotte contre les expériences de Regnault. Aujourd’hui, ils ont répudié cette croyance ; que de fois pourtant ne sont-ils pas obligés d’agir comme s’ils l’avaient conservée ! Quoi qu’il en soit, ce qui reste de cette tendance, c’est la croyance à la continuité, et nous venons de voir que, si cette croyance disparaissait à son tour, la science expérimentale deviendrait impossible.


VI. — La Théorie des Erreurs. — Nous sommes ainsi amenés à parler de la théorie des