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LA SCIENCE ET LA RÉALITÉ

choix au hasard, au lieu de le faire, ce qui serait raisonnable, en vue des applications pratiques. Les savants, au contraire, croient que certains faits sont plus intéressants que d’autres, parce qu’ils complètent une harmonie inachevée, ou parce qu’ils font prévoir un grand nombre d’autres faits. S’ils ont tort, si cette hiérarchie des faits qu’ils postulent implicitement, n’est qu’une illusion vaine, il ne saurait y avoir de Science pour la Science, et par conséquent il ne saurait y avoir de Science. Quant à moi, je crois qu’ils ont raison, et, par exemple, j’ai montré plus haut quelle est la haute valeur des faits astronomiques, non parce qu’ils sont susceptibles d’applications pratiques, mais parce qu’ils sont les plus instructifs de tous.

Ce n’est que par la Science et par l’Art que valent les civilisations. On s’est étonné de cette formule : la Science pour la Science ; et pourtant cela vaut bien la vie pour la vie, si la vie n’est que misère ; et même le bonheur pour le bonheur, si l’on ne croit pas que tous les plaisirs sont de même qualité, si l’on ne veut pas admettre que le but de la civilisation soit de fournir de l’alcool aux gens qui aiment à boire.

Toute action doit avoir un but. Nous devons souffrir, nous devons travailler, nous devons payer notre place au spectacle, mais c’est pour voir ; ou tout au moins pour que d’autres voient un jour.