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théorie de m. arrhenius

à gauche. Mais si nous ne savons pas faire cette opération, elle serait résolue sans peine par les « démons » qu’a imaginés Maxwell. Séparons en deux notre récipient par une cloison percée de tout petits trous, pouvant ne laisser passer qu’une seule molécule à la fois. Chaque petit trou est muni d’une soupape qu’on peut à volonté ouvrir ou fermer sans travail. Derrière chacune de ces soupapes, plaçons un observateur infiniment petit (démon de Maxwell), servant en quelque sorte de douanier. Chaque fois qu’un démon verra une molécule à grande vitesse se diriger de gauche à droite, il ouvrira sa soupape pour la laisser passer ; mais il la fermera à toute molécule à petite vitesse allant dans la même direction ; de même il ouvrira la porte aux molécules à petite vitesse allant de droite à gauche, mais il la fermera aux molécules à grande vitesse allant dans la même direction. Nos petits démons, sans produire aucun travail par eux-mêmes, arriveront ainsi à accumuler à droite toutes les molécules à grandes vitesses, à gauche toutes celles à petites vitesses : ils auront séparé la masse gazeuse primitivement isotherme en deux parties à températures différentes. Ils auront tourné le principe de Carnot.

191.Pour éviter la mort calorifique de l’Univers, M. Arrhenius pense avoir trouvé un mécanisme analogue se produisant naturellement. Considérons une planète, la Terre par exemple, possédant une atmosphère limitée en équilibre convectif (ou adiabatique). Une molécule de la région externe de cette atmosphère, si elle possède une vitesse suffisante (cette vitesse serait de 11 kilomètres par seconde pour la Terre), s’échappe pour toujours de la sphère d’attraction de la planète et continue son chemin vers l’infini. L’atmosphère de la planète perd donc sans cesse les molécules gazeuses qui sont animées d’une vitesse suffisante. Or la distribution des vitesses obéissant dans toute région à la loi de Maxwell (no 80, p. 107), il y a toujours des molécules qui ont de grandes vitesses ; par suite l’atmosphère de la planète s’appauvrit sans cesse. Les vitesses des molécules gazeuses sont d’autant plus grandes que le gaz atmosphérique est plus chaud et plus léger. L’appauvrissement sera aussi plus fort pour une petite planète que pour une grosse, car, par la gravitation, une grosse planète retiendra plus qu’une petite ses molécules atmosphériques. C’est ainsi que la Lune, dont la masse est faible, a perdu toute son atmosphère. La Terre a perdu l’hydrogène qui est très léger, elle a conservé l’oxygène et l’azote plus lourds.