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Page:Poirier - Les arpents de neige, 1909.djvu/363

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les arpents de neige

ceux de ses compagnons d’armes qu’il connaissait davantage. Le sort de la famille La Ronde l’intéressa tout particulièrement. Il savait que Pierre avait sauvé le drapeau. Quelques semaines auparavant, il avait exprimé le désir de recevoir, au cas où il devrait mourir, l’emblème sous lequel il avait combattu.

— Je vous l’ai apporté, dit le P. André en attirant l’étamine dissimulée sous sa soutane.

À cette vue, les yeux du prisonnier brillèrent de joie. Il remercia le Père avec effusion. Pendant un long moment, ils regardèrent en silence l’étoffe fleurdelisée. Presque au milieu s’étalait une large tache brunâtre, une tache de sang.

— Le sang de Pierre La Ronde ! dit Riel avec émotion.

Et il ajouta :

— Ce m’est une bien grande consolation de me dire que je vais rejoindre tous ces braves !

Longtemps encore il demeura debout, ainsi plongé dans sa rêverie, sans quitter de l’œil le drapeau.

Enfin il releva la tête :

— J’aurais aimé tomber à leur tête, frappé d’une balle, murmura-t-il, si la façon dont je vais périr n’était pas plus utile à la cause de mon peuple.

Il dit encore :

— Ceux qui me condamnent sont de bonne foi et font ce qu’ils croient leur devoir. Quant à moi, je ne ferai pas honte à mes amis et je ne réjouirai pas mes ennemis et ceux de la religion en mourant en lâche. Voilà quinze ans qu’ils me poursuivent de leur haine, et jamais encore ils ne m’ont fait flé-