Page:Poirier de Narçay - La Bossue.djvu/117

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plus de moi que celle de Beaugoujat. Le père est un bon bougre qui a nom Mac-Nab.

— Un Arabe, sans doute, dit le notaire Bouscatelle. Ah ! c’est que les Soutardier, eux, ne donnaient pas dans l’antiquaille.

Ils aimaient la Normandie, mais étaient aussi de leur siècle. Cela leur donnait un petit cachet de distinction, dont ils se montraient fiers. Enfoncé le Beaugoujat avec la chanson 1700. Et Joseph commença :

Qu’il est doux d’être deux, de sentir dans sa main
Frissonner une main que l’amour a bénie !
Qu’il est doux d’être deux, deux hier, deux demain.
Deux toujours au banquet d’amour et d’harmonie.
S’il est vrai qu’ici-bas l’on ne puisse être heureux
Sans qu’on se soit donné le plaisir d’être deux.
Il faut bien l’avouer, dans la nature entière,
L’être le plus à plaindre est… le ver solitaire.

Alors, de toutes les bouches, les exclamations admiratives et les réflexions plaisantes s’échappèrent :

— Ah ! est-il drôle, ce Soutardier. Le ver solitaire… Hé, docteur, qu’est-ce que vous en dites ? Hein, ça vous connaît, le ver solitaire. C’est-i’vrai qu’il est malheureux ?

Mais Boulard, qui avait hâte de rentrer, à cause des malades du lendemain, s’était déjà éclipsé et cheminait depuis dix minutes, traîné majestueusement, lentement, par Putiphar, sur la route de Neubourg, dans la direction de Beaumont-le-Roger.

La jeunesse avait envahi la grange voisine, disposée pour le bal. Mêmes draps, mêmes guirlandes et mêmes fleurs.

Le chef de musique de Beaumont dirigeait l’orchestre composé d’un trombone, d’un cornet à piston, de deux violons et d’une petite flûte échevelée qui jouait à tort et à travers.

Le vieux bouvier Mathieu dansait, le grave notaire Bouscatelle aussi, et la bossue-bancale s’agitait dans la foule avec sa béquille emportée dans le tourbillon par l’enragé petit gardeur d’oies. Les Soutardier fignolaient des entrechats avec