Page:Poirier de Narçay - La Bossue.djvu/145

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Bref, à trente pas, il lâche un coup de fusil. Le bougre de lapin ne bougea pas. Il l’avait manqué, l’imbécile, mais ne comprenait pas qu’il s’obstinât à lui tourner le cul, sans remuer une patte. Pour sûr que ça devenait drôle.

Les femmes en pissaient dans leurs jupons.

Pourtant, il tira son second coup qui porta juste. Cette fois le lapin culbuta à la façon d’un clown de cirque qui fait un saut périlleux et resta étendu sur le dos les quatre fers en l’air — c’est le cas de le dire à cause des fils de fer embrochés dans ses pattes.

Jamais chasseur n’avait vu un lapin tomber comme ça. Mais mon Mathieu était déjà dessus et le saisissait par les pattes de derrière pour lui donner le coup de grâce sur le bout de son sabot. C’est alors qu’il s’aperçut de la malice ; mais, comme c’est un bon garçon, il ne se fâcha pas, et, m’ayant découvert avec les femmes, s’écria :

— Pour un bon tour, c’est un bon tour. C’est vous qui avez inventé le truc, Lanfuiné.

Je me défendis, tandis qu’il me disait :

— Qu’est-ce que ça peut faire que ce soit vous ou un autre. Le tour est bien joué, seulement je suis un fichu chasseur pour ne m’être pas aperçu tout de suite de la chose. C’est pas vous qu’auriez coupé là-dedans.

Enfin, bref, on a moins ri que s’il avait été vexé. Pourtant l’histoire démontre que c’est un drôle de braconnier.

Bourgougnon est un malin ; on lui aura reproché quelque chose à notre endroit, et l’gâs, pour se faire mousser près du marquis, a tendu un piège à Mathieu. J’en mettrais ma main au feu. Et quand ça n’aurait été que pour faire enrager cette canaille de Billoin ?

Dans tous les cas elle est bien bonne. Fâcheux que je ne sois pas juge à Bernay. Je lui chanterais à l’audience :

Tiens ! voilà Mathieu, Comment vas-tu, ma vieille ?

C’est peut-être pas nouveau, mais ça irait, j’en suis sûr, droit au cœur, qu’il a sur la main, car pour être un brave garçon, c’est un bon garçon.