Page:Poirier de Narçay - La Bossue.djvu/178

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Vraiment cela lui coûtait de quitter cette forêt qui les nourrissait tout en satisfaisant sa passion de la chasse : qu’allait-il devenir maintenant lui qui aimait d’un amour irraisonné, les pénombres nocturnes des taillis et des futaies, la chanson du vent dans les arbres, les sentiers perdus dans les bruyères, le ronflement monotone des sapins autant peut-être qu’un beau coup de fusil dans les jours d’affût heureux ?

Tout à coup il s’écria triomphant :

— C’est bel et bon mais où vas-tu mettre les mioches ?

— Chez ton père, parbleu. Je lui en ai causé aujourd’hui.

— Et il consent ?

— Oui, mon homme, et il m’a même conseillé d’accepter la proposition de maître Beauvoisin. Il pense, comme moi, que la forêt finira par t’être malsaine, à cause de Billoin.

— J’te dis que je ne le crains pas. S’il me met la main dessus, ça sera tant pis pour lui.

— P’t’ête ben, mais tant pis pour toi aussi et puis pour moi, pour les enfants. Car après que tu l’auras escoffié faut pas croire que les gendarmes te laisseront tranquille.

D’abord les soupçons tomberont tout de suite sur toi parce que personne n’ignore que tu détestes Billoin, pas vrai ?

C’est pour ça que je suis décidée à m’embaucher à la ferme de Pierrelaye : et si tu ne veux pas me suivre, c’est que tu ne m’aimes pas comme dans le temps.

— Allons, c’est dit, murmura Giraud qui ne savait rien refuser à la bossue, je retourne chez le père Beauvoisin.

Alors elle lui sauta au cou, satisfaite de constater que son autorité sur le colosse était toujours la même. Cependant elle avait un peu tremblé tandis qu’il hésitait. Jamais il ne lui avait parlé avec tant d’énergie, jamais il n’avait osé lui reprocher quelque chose.

Et pourtant cette fois il avait franchement, comme on dit, abordé la position ennemie détenue par Estelle, qui semblait depuis leur liaison nuptiale avoir enchaîné la victoire.

Il l’avait même accusée d’avoir contribué au développement de sa passion du braconnage.

— Ah ! mon homme, comme t’es gentil, disait-elle en