Page:Potvin - L'appel de la terre, 1919.djvu/143

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cité demeurait la famille Davis ; par un curieux caprice de fierté déçue, il ne voulait pas même le savoir et il avait décidé de ne rien faire pour cela. Il avait tout confié au hasard, souvent commode et complaisant. Sa fierté se répugnait au guet-apens d’un rendez-vous moderne, à une surprise, souvent pénible, dans le coin d’un jardin ; il imaginait l’arrivée subite du commerçant de soieries, sa colère, l’embarras de Blanche, sa confusion à lui, son orgueil de simple blessé… Il laissait donc au seul hasard le soin de déterminer les circonstances qui lui feraient réaliser son grand désir.

Mais en attendant, il lui fallait vivre ; et pour cela, chercher un emploi, n’importe lequel, le plus ignoré, le plus humble fût-il. Il avait emporté ses quelques économies mais il envisageait déjà avec terreur l’antagonisme qui ne manquerait pas d’exister bientôt entre la médiocrité de ses maigres ressources et son désir de rester à Montréal… à la merci d’un hasard et peut-être toujours.

Il lui fallait donc entrer dans une fonction quelconque. Parviendrait-il jamais à se procurer du travail dans cet immense chantier ? Le spectacle de cette prodigieuse création humaine, foissonnante, faisait appel à son activité, mais il s’effrayait de se voir seul et sans moyens de réagir dans la tempête des besoins de l’existence qui grondait en bas de lui. Enfin, en attendant, il avait décidé de diviser en menues tranches, mesurées sur ses dépenses quotidiennes, le peu qu’il possédait…