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LE FRANÇAIS

Baptiste Morel à la mort affreuse que lui réservait la Pointe-au-Vin. Pendant une minute, il fut pris entre le bonheur de la réalité et la douceur du souvenir qui fait presque ses yeux humides. De chères silhouettes ensoleillent sa songerie d’un instant et sa pensée les fixe fidèlement dans le cadre rustique de son village cévenole avec ses petites rues en pente, ses toitures basses, pas plus hautes que des buissons de cornouillers… Et cela lui paraît triste et pauvre à côté de la réalité des bâtiments spacieux dont la blancheur de lait de chaux rayonne dans l’obscurité… Il entrevoyait, à la porte des granges, des herses et des charrues qui se rouillaient pour n’avoir pas assez de terre à remuer, et le fumier des derniers mois sécher et perdre sa vertu tonifiante sur le sol humide sans profit pour la terre… N’importe, ce décor d’éperdue tristesse en cet instant lui semble beau quand même de soleil et de rire ; car il y a quand même, dans cette tristesse de réalités lointaines, les vieux, les amis, les bonnes journées écoulées, les fêtes joyeuses, la tablée familiale de tous les jours, et que de jolies choses encore !…

Marguerite Morel s’était finalement assise sur le rebord d’une allée du potager, tout près de la clôture où s’appuyait le Français. L’obscurité, grandissant toujours, empêchait de voir et Marguerite finirait, demain, d’arracher ses oignons…

Il fera beau demain.

Effectivement, l’on a entendu un rossignol chanter, au crépuscule, de la plus haute branche d’un saule et, auparavant, des bandes épaisses de moucherons ont